«La diversité du vivant et sa dynamique»
15/05/17

La biodiversité
Conférence de Régis DEMOUNEM, Inspecteur général honoraire

le lundi 15 mai 2017 à l'ESPE de l'académie de Lyon

Le néologisme s’est imposé au monde en 1992, lors de la conférence de RIO, en présence de 173 Chefs d’État. La variabilité à sauvegarder existe aux niveaux de l’individu, des espèces et des écosystèmes.  Il s’agit de la comprendre, pour gérer au mieux la vie sur notre globe terrestre.

L’espèce n’est pas stable, du fait des mutations liées aux croisements reproducteurs. La définition moderne de l’espèce intègre la durée ; elle est une synthèse entre la théorie de l’évolution par sélection naturelle (Darwin 1859) et les apports de la génétique moderne (écologie moléculaire).

La variabilité intraspécifique décrit les différences entre les individus d’une même espèce. Très simplement, ces différences tiennent à l’information génétique portée par les chromosomes des cellules vivantes, et plus précisément par l’acide désoxyribonucléique (ADN) au niveau des gènes. L’origine moléculaire de cette information est représentée par l’ordre linéaire des couples de bases A, T, C, G (par exemple TTACCCG…) dont dépend des versions différentes, nommées allèles du gène, à l’origine de la diversité individuelle (par exemple, les allèles des groupes sanguins chez l’Homme de type A ou B ou 0). La nouvelle épigénétique évolutive (voie prometteuse, Axel Kahn, 2017), soutient le rôle des changements environnementaux dans l’inactivation et l’expression des gènes hérités.

Afin d’identifier les gènes propres à une espèce, on réalise un séquençage à haut débit de l’ADN. Les séquences choisies permettent de classer les organismes en TAXONS représentant l’ensemble des descendants relativement proches et issus d’un ancêtre commun. La séquence d’un gène choisi « fossilise » en effet plus d’informations que la morphologie. Il s’agit donc désormais de décrire les espèces (identification morphologique, identification moléculaire et recherche de parentés), de déterminer l’effectif et le nombre des populations, ainsi que les échanges entre elles. Cette nouvelle vision, prenant en compte les parentés évolutives, fonde la systématique phylogénétique (Lecointre, Le Guyader, 2006) ; elle révolutionne la science des classifications. Biodiversité et Évolution sont 2 thèmes scientifiques progressivement plus imbriqués.  De façon générale, les espèces les plus éloignées survivent alors que celles qui se ressemblent sont en compétition. L’espérance de vie des espèces est estimée entre 1 et 10 millions d’années. Sur des indications morphologiques, Linné (1707-1778) a décrit 6 000 espèces. Les espèces vivantes répertoriées au Museum National d’Histoire Naturelle sont au nombre de 1,8 millions. Mais on estime à 30 millions le nombre d’espèces à découvrir, dont en particulier des champignons microscopiques, des bactéries et des virus.

À l’échelle des écosystèmes, la biodiversité regroupe les interactions entre les facteurs physiques et biologiques des milieux de vie, les relations de dépendance alimentaire entre les espèces et les complémentarités liées à leur reproduction comme dans les roselières des lieux humides, les pelouses sèches sur calcaire ou encore la forêt feuillue, les champs de monoculture intensive… Cette diversité est  sous la dépendance de l’action humaine (passée et actuelle). La biodiversité dans l’écosystème sol concerne des milliers d’espèces (flore, faune). Des réseaux trophiques fondamentaux existent aussi dans les écosystèmes marins (océans et milieux littoraux). Les relations symbiotiques prévalent dans les récifs coralliens : les polypes des coraux recueillent les glucides élaborés par les algues zooxanthelles. La richesse en espèces est comparée à celle des forêts tropicales humides. Ces espèces appartiennent à tous les groupes zoologiques (500 000 espèces passent au moins une partie de leur vie dans les récifs). La forêt amazonienne est un autre empire de la biodiversité : 90% des espèces sont permanentes dans la canopée riche de plus d’un millier d’espèces d’arbres. Le nombre d’individus par espèce et par hectare y est supérieur à celui de l’Eurasie entière !

Il existe un gradient latitudinal de la biodiversité : les coraux se répartissent dans les eaux des latitudes tropicales et subtropicales entre 21°C et 30°C. La biodiversité explose dans l’écosystème corallien du Pacifique : des espèces sont observées dans tous les groupes zoologiques. On détermine plus de 13 espèces de poissons des récifs ; on compte 100 espèces de vers Polychètes, dans un morceau de récif de 1mètre carré et 500 000 espèces de toutes sortes passent au moins une partie de leur vie dans les récifs...

Une érosion de la biodiversité est liée à l’Homme. Les atteintes à la mégafaune sont connues : sur les 8 espèces d’ours, 6 sont vulnérables ; l’effectif des 5 espèces de Rhinocéros comportait 1 million d’individus en 1800 et seulement 29 500 individus en 2016... ; une érosion de 60% en 10 ans des éléphants d’Asie est reconnue.  On note aussi la diminution du nombre des chimpanzés (50% en 50 ans) liée au braconnage, aux maladies, aux destructions de leur habitat. Par ailleurs, la pêche retire des océans plus de 1/3 de leur production primaire en organismes marins au niveau des côtes. La surpêche favorise alors le développement des algues. Un exemple d’érosion majeur est la déforestation de la forêt amazonienne au profit du soja. On perd 1% de la forêt par an, ce qui est lié à la disparition d’une espèce vivante toutes les 100 minutes. Du fait de la restriction des aires de vie des espèces, la diversité s’effondre et le risque d’extinction apparaît.

La Biodiversité est aussi liée aux changements climatiques globaux. Il importe de mesurer l’impact du réchauffement climatique sur les régions tropicales où vivent la plupart des espèces animales et végétales. L’impact existe aussi sur l’Antarctique : par exemple, la modification de leur habitat et des ressources alimentaires font que les 2/3 des 18 espèces de manchots, vivant des Galapagos à l’Antarctique, sont en déclin. Les issues pour les espèces sont l’acclimatation, l’adaptation génétique ou la migration vers des zones plus favorables.

Le fait bien établi de l’élévation du niveau marin compromet les habitats des rivages, tandis que l’acidification des océans liée au rejet de CO2 a un fort impact sur les récifs coralliens du Pacifique. Celle-ci intervient dans le mécanisme d’expulsion des algues zooxanthelles avec lesquelles les polypes vivent en symbiose ; il se traduit par le phénomène de blanchissement des coraux. Notre responsabilité en outre-mer est importante : 80% de la biodiversité en France est intertropicale, dans les océans Atlantique, Indien et Pacifique.  

En conclusion, la responsabilité collective de la perte de biodiversité dans le monde fonde notre cadrage sociétal. Il s’exprime, par exemple, par le programme Man and Biosphère de l’UNESCO, l’agenda 21 adopté par 173 chefs d’Etat, les dispositions du Grenelle Environnement, la loi française sur la transition énergétique pour la croissance verte, ainsi que par des types de suivis et de protections : ZNIEFF, UICN, CITES, WWF, Liste Rouge d’espèces en voie de disparition. Quelques millions d’espèces actuelles, pour une durée de vie de 1 à 10 millions d’années, succèdent aux quelques milliards d’espèces qui ont existé au cours des temps géologiques marqués par 5 extinctions massives. Les faits montrent que dans l’anthropocène, période actuelle, les phénomènes généraux, physiques et biologiques liés, changent plus vite que le processus d’adaptation des espèces.

Régis Demounem